Consulter un psychologue en ligne : une fausse « bonne idée » ?
Comment penser la consultation psychologique en ligne (et à distance), c’est-à-dire une consultation qui se fait en communiquant via internet, entre une personne (un patient) et un psychologue, et qui au lieu de se placer dans un lieu réel, transpose cette rencontre au sein d’un lieu virtuel, en utilisant des images représentatives de l’autre distant, au travers d’écrans et haut-parleurs interposés ?
Cette question est particulièrement d’actualité, au moment où fleurissent sur internet toutes sortes de propositions de consultations psychothérapiques en ligne et à distance, permises par les technologies actuelles (webcam, skype, visioconférence, etc.). C’est pourquoi il nous parait bénéfique de tenter de nous y plonger aujourd’hui.
Pour commencer, nous reviendrons au travail du psychologue, et à ce que ce travail, pour être fait, nécessite. Puis, comme cette question nécessite de repenser le lien, nous aborderons le lien et la qualité du lien, puis l’image de soi face à l’autre et la confiance en l’autre au moment de s’exposer au lien. Enfin, nous aborderons la fonction de pare-excitation du cadre psychologique.
Le travail du psychologue
Le psychologue est formé à l’écoute, et c’est sa principale qualité reconnue, mais il est aussi formé à l’observation, et à l’analyse de ce qu’il observe. Car le lien à autrui ne se fait pas seulement au travers d’une parole véhiculant une information ; il se fait au travers d’une transmission complexe et à double sens incluant l’échange de parole, mais aussi toute la palette du comportement. Cette dimension comportementale de la communication nécessite pour être déchiffrée toute une capacité interprétative, que tout un chacun apprend à utiliser dès l’enfance (à moins de souffrir d’un trouble particulier, comme l’autisme par exemple).
Ainsi, au sein de la relation, toute parole est « placée » et fait partie d’un ensemble comportemental qui a du sens, et il appartient au psychologue de pouvoir le décrypter pour s’en servir dans le strict cadre thérapeutique. C’est d’ailleurs aussi pour définir et améliorer ce cadre qu’a été mise en place la déontologie.
« La formation et l’éthique du psychologue sont en principe une garantie contre le jugement moral. Bien au contraire, un psychologue est en place de tout entendre chez son patient. » (Dominique Cuny, psychologue clinicien et psychanalyste)
La qualité du lien « en présence »
Le lien « en présence » est le lien le plus riche qui existe avec quelqu’un, et c’est un lien naturel chez les mammifères qui sont des animaux sociaux. Bien que les nouvelles technologies arrivent de façon relativement satisfaisante à recréer ce lien par leur capacité à capturer puis véhiculer et restituer l’image et le son, leur utilisation induit des biais, qui sont des obstacles supplémentaires potentiels à la relation.
Comme la qualité du lien est presque toujours fragilisée chez une personne qui ne va pas bien, il parait d’autant plus important de ne pas induire d’obstacle pouvant nuire au lien qui se met en place dans le cadre d’une relation thérapeutique !
L’image de soi et la peur d’être jugé.
Il y a quelque chose de naturel et inhérent à toute relation que de se placer en position de pouvoir éventuellement être remis en question par l’autre. Ce qui pose problème, c’est lorsque ce « potentiel déstabilisateur » que possède la relation devient pour soi un obstacle infranchissable ; il y a là ce qu’on peut appeler un symptôme. On retrouve cette question par exemple dans la timidité classique, voire dans l’inhibition de la timidité excessive, mais aussi dans beaucoup de problématiques psychologiques où l’image de soi est fragilisée, et où une certaine « honte de se présenter comme anormal » est présente.
« L’autre, cet inconnu » ; un agresseur potentiel pour la personne vulnérable
Lorsqu’on est fragile, en général, on est d’autant plus obligé de faire attention à l’autre, parce que l’autre, s’il est inconnu, est un agresseur potentiel, et qu’il faut pouvoir s’en protéger le cas échéant.
Dans cette logique de vulnérabilité, une généralisation que l’on peut avoir a tendance à faire serait de considérer que toute nouvelle relation doit se voir appliquer ces précautions. On mésestime ainsi le contexte dans lequel on se place, alors que celui-ci revêt une importance non négligeable. Ainsi, par exemple, le fait d’aller voir un psychologue et de se soumettre à son jugement est parfois générateur d’une forte crainte, voire dans certains cas terrorisant, alors que si l’on tient compte du contexte, c’est-à-dire du fait que le psychologue est un professionnel de la relation et qu’il est là pour nous aider sans nous juger, alors cela devrait nous permettre de relativiser.
En fait, toute relation contient un « potentiel d’exposition« , auquel les personnes bien portantes acceptent de se soumettre, parce qu’elles prennent en compte la faible probabilité pour que l’autre « étranger » se transforme en ennemi. Elles acceptent donc de prendre un léger risque.
« Interrogez-vous sur ce qu’il y a chez vous derrière cette peur d’être jugée. Une consultation en ligne ne fera que reporter à plus tard votre problème en le masquant. Rien ne vaut la parole dans le réel du rapport avec le thérapeute , ça s’appelle « le transfert » et c’est ce qui est curatif sur le symptôme. » (Dominique Cuny, psychologue clinicien et psychanalyste)
Lorsque le présentiel permet d’évoluer vers la confiance en soi.
Lors de séances de psychodrame, par exemple, les patients sont confrontés au regard des autres, et le fait de venir se placer dans cette situation thérapeutique de façon régulière, est une véritable épreuve pour certains patients.
Cependant, c’est cette sorte de « mini-épreuve », vécue et répétée du lien proximal « en présence », qui va permettre au patient de se reconstituer petit-à-petit une capacité à se présenter au regard d’autrui sans en ressentir de crainte, à condition bien sûr qu’il se retrouve dans un groupe bienveillant et en lequel il puisse avoir confiance. C’est d’ailleurs pour ça qu’une des règles énoncées à un patient lors de l’arrivée dans un groupe de psychodrame est la bienveillance vis-à-vis des autres participants.
La bienveillance en consultation
Si nous revenons à la situation classique du patient qui souhaite, pour la première fois, consulter un psychologue ; la règle de la bienveillance, ici, n’est pas énoncée comme telle, mais en fait elle préexiste car elle est signifiée dans la déontologie des psychologues, sous la forme :
« Article 2 : La mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. »
C’est pourquoi, en s’appuyant sur cette déontologie, le patient doit pouvoir faire confiance au psychologue. Par ailleurs, la déontologie ajoute un article protecteur particulièrement explicite :
Article 15 : Le psychologue n’use pas de sa position à des fins personnelles, de prosélytisme ou d’aliénation économique, affective ou sexuelle d’autrui.«
La fonction pare-excitations du cadre psychologique
Le pédiatre et psychanalyste D. W. Winnicott a mis en avant l’importance de la fonction de « holding » de la mère pour son enfant, c’est-à-dire le fait de le tenir et de le contenir lors des soins et bercements qu’elle lui prodigue. Cette fonction joue un rôle de pare-excitations, c’est-à-dire que le holding permet de tempérer des excitations dont l’intensité trop importante dépasserait les capacités de l’enfant d’y faire face. C’est ainsi la mère qui sert de pare-excitation au bébé jusqu’à ce que le Moi en croissance de celui-ci trouve sur sa propre peau un étayage suffisant pour assumer cette fonction.
Cette adaptation de la mère qui étaye son enfant peut-être reprise comme une métaphore du cadre psychologique, dans lequel la bienveillance du psychologue jouerait un rôle équivalent aux soins positifs prodigués par la mère.
En gardant comme référence cette métaphore, on peut aussi évoquer la question de la proximité entre le psychologue et le patient, en miroir d’une proximité de la mère par rapport à son enfant. Comment, en effet, constituer un cadre physique et contextuel qui permette l’émergence d’une parole, la plus détachée possible d’une réalité contextuelle dans laquelle se trouve le patient ? Ne doit-on pas ici se poser cette question lorsque le patient est à son domicile ou dans un cybercafé, et parle au psychologue au travers d’une webcam ?
On pourrait penser que la consultation dans un lieu neutre est plus à même de placer le patient hors de sa réalité contextuelle et de tout ce que son contexte peut représenter d’excitant au plan inconscient, comme la relative présence familiale (ou au contraire le ressenti d’isolement, comme on le constate parfois).
Par ailleurs, le déplacement réel, non content d’offrir la possibilité d’accéder à un espace indépendant, place aussi le patient dans un mouvement réel qui le confronte à une réalité extérieure (frustrante), ce qui peut aussi l’aider à se placer, au plan interne, dans une phase de mouvement à la fois économique et symbolique. Enfin, en sortant de chez lui, le sujet passe une frontière ; il passe de l’interne à l’externe, et cela est aussi hautement symbolique…
Aussi me semble t-il qu’il ne faut pas trop minimiser l’importance que revêtent ces interprétations psychanalytiques.
Rédaction : Tanguy Bodin-Hullin (4 mars 2015)
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